« Je n’aurais jamais cru me rendre jusque-là ». Bien des histoires où l’addiction a pris le dessus se concluent de cette façon. Comment une habitude en apparence récréative en vient-elle à devenir addictive? Une chose est certaine : dans l’évolution d’une dépendance, bien des mécanismes s’opèrent, consciemment ou pas, et favorisent le glissement vers la compulsion.
Un système déréglé
Perdre le contrôle, c’est rarement quelque chose que l’être humain savoure. Portant atteinte à sa liberté et son indépendance, cet état est évité à tout prix, mais demeure, dans l’ensemble, l’exception à la règle. Mais avez-vous déjà ressenti le besoin de vous arrêter sans en être capable? Ce qui rend la chose hasardeuse, c’est qu’il y a dans le comportement addictif une tendance à l’automatisme, c’est-à-dire une répétition qui perd de son sens et qui devient sournoisement, de moins en moins consciente. La mémoire nous joue des tours, dans la mesure où le cerveau, par le biais de raccourcis et d’une certaine sélectivité, nous amène à faire des associations erronées et à prioriser les souvenirs positifs (les bienfaits perçus), favorisant ainsi l’impulsivité et la compulsivité. Par conséquent, tout un processus psychologique s’installe et vient fragiliser l’accès à des zones clés de notre cerveau qui garantissent, en temps normal, une certaine régulation de nos comportements. En gros, c’est l’impression de devenir passager de sa propre vie. N’est-ce pas toutefois, selon la croyance populaire, uniquement « un problème de volonté » ?
La volonté ne suffit pas
De nos jours, tous les fumeurs de cigarettes sur la planète sont au courant du caractère nocif de leur consommation et des risques associés. Ainsi, si « savoir, connaitre ou être conscient » suffisait, il n’y aurait que des enjeux de connaissances, pas de santé publique. Il y a donc ce qu’on peut qualifier de « persistance malgré les conséquences ». D’ailleurs, certaines études révèlent qu’une bonne proportion de joueurs pathologiques (jeux de hasard et d’argent) sont bien conscients des erreurs de pensée qu’ils cultivent et des pièges dans lesquels ils tombent. Ils ont simplement trouvé le moyen de les rationaliser suffisamment pour continuer.
Ne vous y méprenez pas : la volonté, la persévérance, la détermination sont tous des ingrédients au cœur du rétablissement. Ils sont simplement soumis aux manifestations physiques et psychologiques qui accompagnement la plupart des dépendances, qui disons-le, s’installent la plupart du temps de manière insidieuse.
Du passe-temps à la perte de contrôle
Quand on parle d’habitudes addictives (jeux de hasard et d’argent, consommation d’alcool ou de drogues, cyberdépendance, etc.), il n’y a aucune garantie, c’est-à-dire que personne n’est à l’abri. Pourquoi? Parce que les mécanismes impliqués perturbent la même région : le circuit de la récompense. Et peu importe les prédispositions génétiques ou l’environnement dans lequel vous avez grandi, une personne peut être à risque, surtout si ses comportements sont motivés par des éléments « négatifs » tels que la fuite, la recherche continuelle de sensation forte ou de plaisir ou bien l’anesthésie des émotions désagréables. Néanmoins, certaines vulnérabilités personnelles sont bien démontrées comme le fait d’être un homme, l’initiation précoce, une faible estime de soi, l’ennui, la dépression, un TDA/H ainsi que des caractéristiques situationnelles comme l’accessibilité [jeu en ligne, substance légale] ou l’absence de régulateurs sociaux [isolement, sites de jeu illégaux, anonymat].
Alors ce qui débute parfois par une curiosité, un moment entre amis ou une exposition bien aléatoire peut ultimement mener vers des stades subséquents, comme les préoccupations excessives, communément appelées « Craving ». Un désir puissant, pas nécessairement logique, qui va même jusqu’à impacter d’autres sphères de vie et qui, en apparence, n’a comme solution que de céder à la tentation. Et c’est bien pire lorsque « la première expérience » est considérée positive. Par exemple, le fait qu’un joueur débutant remporte un lot important (le « big win ») facilite l’apparition d’un problème de jeu (tout comme un « bad trip » en ce qui concerne le cannabis pourrait bien avoir l’effet contraire)…
Comble de l’ironie, certaines données suggèrent que ce n’est pas tant la satisfaction qui procure « le soulagement », mais bien l’anticipation.
Commander plutôt que de recevoir. [Magasinage compulsif]
Miser plutôt que de gagner. [Jeu compulsif]
« Sexter » plutôt que de passer à l’action. [Dépendance à la sexualité]
« Rêvasser » de son verre de vin plutôt que de le boire. [Dépendance à l’alcool]
S’installe alors l’éternelle insatisfaction : toujours plus et jamais assez. Une extase qu’on s’acharne à recréer, en vain.
Quand l’obsession s’installe
Au-delà des conséquences variées pouvant résulter de l’émergence d’une dépendance (financières, relationnelles, etc.), c’est surtout la détresse émotionnelle dont les personnes aux prises avec une dépendance cherchent à s’échapper.
Imaginez un besoin urgent d’uriner : vous vous fiez sur vos sens et les signaux que votre corps vous envoie. Vous procédez et enfin, vous sentez soulagé. Mais si cette impression revient constamment, plus fortement et qu’au moment d’aller à la toilette, vous n’en retirez aucune satisfaction, ressentirez-vous un certain désespoir, de l’impuissance?
Cette inconfortable sensation d’incohérence, de déconnexion et de « désharmonie » vient donc avec une forme d’envoûtement : la raison sait, mais le corps et la psyché n’en ont rien à cirer. Rien de plus honteux, désagréable et déstabilisant, surtout si l’on se croyait invincible ou bien au-dessus de cette possibilité. Résultats : les dégâts s’accumulent, les tentatives d’arrêt ou de modération sont infructueuses et le cercle vicieux s’installe.
Vers la reprise de pouvoir sur sa vie
Si de plus en plus d’études concrétisent l’idée que les dépendances sont davantage un comportement appris qu’une « maladie » de laquelle il est « impossible de se rétablir », il faut tout d’abord se responsabiliser, se conscientiser et s’interroger sur la relation que nous entretenons envers l’habitude nocive. Valider sa fonction, dépasser le côté sournois, tel qu’élaboré ci-haut. Il va donc de soi de prendre conscience des réflexes qui sont ancrés pour ultimement, créer des chemins plus sains. Les constater sera peut-être difficile à accepter, mais comme je me plais à dire souvent :
Il faut parfois admettre que l’on est perdu pour enfin retrouver son chemin.
Et pour préserver son libre-arbitre (ne pas avoir l’impression d’agir sous la contrainte), la narrative à laquelle on s’attache est cruciale :
Suis-je obligé.e d’arrêter de jouer/consommer ou fais-je le choix, difficile ou inconfortable, certes, de prioriser mon bien-être et d’orienter mes comportements vers l’atteinte de celui-ci?
La liberté a bien des définitions, sauf qu’obéir à de fausses obligations (je dois, il faut) n’en fait pas partie.
Ainsi, toutes les stratégiques malsaines instaurées visant la réponse à des besoins humains et légitimes ont intérêt à faire l’objet d’une grande mise à jour, tout comme les sensations peuvent être répondues autrement. Parce que jouer à l’autruche n’a que très peu d’utilité : il va de soi de stimuler sainement le circuit de la récompense à travers des activités plus saines et surtout, collées à ce qui nous passionne. Bref, entamer son chemin de rétablissement vers un nouveau mode de vie.
Cela requiert de l’ouverture d’esprit, de l’humilité et une bonne dose de soutien. Ça, vous le cultiverez ou le trouverez ici, à l’Unité Domrémy.
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