Il n’y a que les paresseux qui développent une dépendance. Après tout, s’ils voulaient réellement arrêter, ils arrêteraient non?
Contrairement à la croyance populaire, les dépendances sont bien plus complexes qu’une simple habitude difficile à briser qui n’a comme enjeu que le réel désir de s’en sortir. Elles jouent sur notre cerveau, impactent la régulation de nos émotions, dépendent/influent de/sur notre environnement et teintent nos choix quotidiens. Se pourrait-il que comprendre cette réalité puisse non seulement démystifier le phénomène, mais aussi ouvrir la porte à des conversations guérissantes?
Qu’est-ce qu’une dépendance?
La dépendance peut se définir comme un besoin incontrôlable de consommer une substance (alcool, drogues, tabac) ou d’adopter un comportement (magasinage compulsif, jeux vidéo) pour ressentir un bien-être temporaire. Ce phénomène repose sur le "circuit de la récompense" dans notre cerveau, qui nous pousse à répéter ce qui nous procure du plaisir. Il est parfois vu comme un mécanisme d’adaptation déficitaire, voire un comportement appris qui se cristallise (Lewis, 2015).
En d’autres termes, la dépendance se matérialise comme la mise en place de stratégies inadaptées pour gérer des émotions ou des défis perçus comme insoutenables, bien qu’elle aggrave souvent la situation (Peele, 1982). C’est ce qu’on appelle le cycle de l’assuétude.
Différents visages de la dépendance
Les dépendances ne se limitent pas à l’alcool ou aux drogues. Elles peuvent aussi inclure des comportements comme :
Les jeux de hasard et d’argent : Un "loisir" qui peut virer à l’obsession, entraînant des pertes financières importantes et des tensions familiales.
La cyberdépendance : Internet et les jeux vidéo, lorsqu’ils prennent le contrôle du quotidien, peuvent isoler socialement et nuire au bien-être mental.
La dépendance affective : Un besoin excessif de validation ou de contrôle dans les relations, souvent alimenté par une estime de soi fragilisée (Borgia, 2011).
Chaque type de dépendance affecte différemment le cerveau et le comportement, mais tous partagent une dynamique commune : un apaisement temporaire suivi d’une insatisfaction persistante.
Une question de fonction
Ce n’est pas tant la substance, mais le rôle qu’elle joue dans la vie, ce qui veut dire que la dépendance visible camoufle essentiellement tout ce qui se trouve en dessous. C’est pourquoi plusieurs personnes pratiquent « l’automédication » : la consommation devient un moyen de "soigner" une douleur psychologique ou physique. Ironiquement, ce remède autoproclamé aggrave fréquemment les problèmes sous-jacents. La solution perçue au problème d’origine devient… un nouveau problème. En outre, la personne dépendante peut…
- Consommer de l’alcool pour se « donner du courage » (approcher quelqu’un dans une discothèque, s’affirmer et mettre ses limites)
- Plonger dans une relation fusionnelle pour combler une impression de vide
- Magasiner compulsivement pour contrer l’ennui
Comme boire de l’eau apaise l’impression de soif, tout est dans ce que la personne a l’impression de combler comme besoin. Il est crucial de comprendre la fonction que prend la dépendance dans la vie de la personne, notamment pour développer des méthodes alternatives plus saines et avantageuses.
Mais qu'en est-il lorsque ces comportements se développent...chez les personnes qui comptent à nos yeux?
Ouvrir le dialogue : la clé pour comprendre et soutenir
Entamer une discussion avec quelqu’un aux prises avec une dépendance représente, pour plusieurs, une étape délicate. Pourtant, c’est souvent un point tournant qui établit un lien de confiance solide. Mais avant toute chose, il est important de se connaître soi-même.
Avant d’ouvrir le dialogue…
Identifier ses propres malaises et limites, au fond, pour veiller à prendre la meilleure posture d’écoute. Prenez également conscience de vos attentes, quitte à les réactualiser. Par exemple, acceptez que la conversation puisse se conclure rapidement si la personne n’est pas réceptive.
C’est vrai : côtoyer une personne étant aux prises avec des enjeux de dépendances peut engendrer des occasions de vivre, de la frustration, de l’impuissance, de la peur, et bien d’autres émotions inconfortables. À titre de proche, vous n’êtes ni responsable du bien-être d’une personne dépendante, ni de son rétablissement. Or, vous êtes responsables de veiller à votre propre bien-être. Identifier ses limites et les nommer à l’autre est un exercice important pour se respecter et prendre soin de ses besoins. Voici quelques questions qui peuvent vous guider dans la recherche et dans l’affirmation de vos limites :
Qu’est-ce qui est acceptable pour moi dans les comportements de mon proche?
Qu’est-ce que je ne veux pas accepter dans les comportements de mon proche?
Quelles limites je désire que mon proche respecte?
Qu’est-ce qui ne sera plus toléré de ma part par rapport aux comportements de mon proche?
Ensuite, définir un objectif clair est également crucial : souhaitez-vous exprimer votre inquiétude, mieux comprendre la situation, ou encourager un changement?
Pendant le dialogue…
Miser sur la bienveillance
Le dialogue gagnerait à reposer sur une posture de non-jugement. Pour cela :
Focalisez-vous sur les faits : dites, par exemple, "J’ai remarqué que tu verbalises être fatigué plus souvent ces derniers temps" plutôt que de poser un jugement
Utilisez des termes nuancés : des expressions comme "J’ai l’impression que" ou "Peut-être que je me trompe" favorisent l’ouverture sans imposer une vision
Offrez une liberté de choix : cela renforce l’autonomie de la personne en évitant toute impression de contrainte ("merci de choisir de prendre du temps avec moi")
Choisir le bon moment et le bon endroit
Attendre que la personne soit dans de bonnes dispositions (calme, non intoxiquée, ouverte) est essentiel. Privilégiez un lieu tranquille, sans interruption, pour créer un espace propice à une discussion constructive. Si le lien est encore fragile, prenez d’abord le temps de le consolider avant d’aborder des sujets sensibles, puisque le « poids » de la conversation risque d’être démesuré (Guillaume Dulude, 2020). En d’autres mots, apprenez à découvrir la personne sous d’autres facettes pour éviter d’arriver comme un cheveu sur la soupe.
Terminer sur une note constructive
Quelle que soit l’issue de la conversation, il est important de valoriser les efforts de l’autre, même minimes, et de proposer une continuité. Par exemple, demandez si vous pouvez reprendre cette discussion plus tard ou orientez la personne vers des ressources adaptées. Enfin, encouragez la transparence en reconnaissant le courage dont la personne a fait preuve en partageant avec vous les difficultés qui l’habitent.
Mieux comprendre, mieux agir
Saisir la complexité des dépendances et ses nuances est un pas important pour déconstruire les préjugés et favoriser un soutien véritable. Ces comportements, bien qu’ils puissent sembler irrationnels ou faciles à juger, reflètent souvent une quête de soulagement ou de déconnexion face aux problèmes quotidiens. Bref, un désir d’aller mieux. Dès lors, en tant que proche ou témoin, amorcez toujours une conversation avec cette perspective en tête pour ainsi comprendre avec empathie et qui sait, mieux aider tout en vous préservant?
Avec la collaboration de Sophie Grondin.
Ressources : La halte des proches : https://lahalte.ca ALANON : https://al-anon-montreal.org Unité Domrémy de Ste-Thérèse : découvrez nos services
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