Pouvez-vous lire ce texte et ne pas le lire en même temps? Drôle de question, je sais, et j’y reviendrai. Qu’on veuille l’admettre ou pas, les sentiments qui nous habitent sont subjectifs et notre raisonnement, parfois trop émotif. Résultat? La réalité tend à nous échapper, teintant notre perception de ce qui est, et surtout, de ce qui « aurait pu ». C’est ainsi que dans la quête que plusieurs poursuivent à l’idée de se libérer du poids de la culpabilité, le réel devient trop souvent le grand négligé.
Vous savez, la culpabilité persiste au jour le jour et il est évident qu’elle tire sa force de ce qui s’est déjà produit. Hanté par cette impression d’avoir fauté, l’être humain alimente cet état d’esprit en se convaincant de toutes sortes de choses. La pire? L’idée stipulant que nous aurions eu la capacité d’agir différemment. Disons que bon nombre de variables sont ignorées dans l’équation.
L’omniscience : un don que personne ne possède
Individu omniscient : « Qui sait tout ou prétend tout savoir. » Bien que ce don puisse être enviable, il est manifestement inatteignable. Cependant, quand une personne se la joue Terminator en prétendant pouvoir changer les choses qui se sont déjà produites, une clarification s’impose. Parce que oui, lorsqu’une personne estime qu’elle aurait pu agir d’une autre manière, elle scande haut et fort qu’elle a la possibilité d’agir de deux (2) façons différentes simultanément. Mais redemandez-vous ceci :
Avez-vous la capacité, à la fois, d’agir et de ne pas agir? De faire et ne pas faire? De dire et ne pas dire?
Vous réaliserez rapidement que c’est impossible. Et ce sentiment d’érudit qui aurait pu tout prévoir, comprendre, analyser, prévoir entre dans la même catégorie. Mais qu’est-ce qui nous échappe?

Un regard présent sur le passé

En négligeant de reconnaitre notre humanité (et ainsi, notre faillibilité), nous développons un penchant à juger notre passé en arborant nos lunettes du présent. Avec en main, bien sûr, toutes les leçons tirées, les conséquences vécues et les connaissances à l’époque indisponibles. Nait alors le « si j’avais su », à l’origine d’une souffrance potentiellement éternelle. Et malgré le caractère contre-intuitif de cette affirmation, l’être humain agit toujours aux meilleures de ses capacités à un moment bien précis. Cela s’applique même lorsque nos choix ont des répercussions fâcheuses. Donc, peu importe les aboutissants et l’opinion que nous nous faisons d’une décision, il n’en demeure pas moins qu’avec le degré de maturité du moment, les informations disponibles à l’instant donné, notre capacité de jugement et de discernement (et ainsi de suite), nous ne pouvions pas agir autrement. Mais aurions-nous souhaité que ça se passe différemment?...
Accepter la réalité, miser sur ce qu’on peut contrôler
Quand on passe notre sentiment de toute-puissance au filtre de la réalité, on prend conscience d’un piège duquel nous sommes prisonniers : le biais de rétrospection. En français maintenant…
Ce phénomène répandu amène parfois certaines personnes à « s’ancrer dans leur point de vue post-résultat (après avoir agi), incapables de retourner à la croyance qu’elle avait avant que l’événement en question ne survienne¹». En d’autres mots, une fois qu’on a tous les éléments, on estime qu’il était évident qu’il fallait agir autrement. La vérité, c’est que nous ne les avions pas.
Dépasser la culpabilité par l’acceptation
Dans les faits, il est tout à fait possible de prendre ses responsabilités sans jamais s’ancrer dans une posture où la culpabilité et le sentiment de toute-puissance (oui, la toute-puissance…) prennent toute la place. Nous ne sommes pas Superman et nul besoin de s’en vouloir pour ça. Et cette prise de conscience, jamais au service d’une complaisance ou banalisation, quand nous la considérons pour ce qu’elle représente, favorise l’acceptation et réoriente le focus vers ce sur quoi nous avons du pouvoir.

Donc, supposons que la pensée irrationnelle « J'aurais pu faire autrement » devient : « J'aurais voulu faire autrement, mais je ne pouvais pas. » Contrairement à ce qu’on peut penser, le choix de mots est important, à la vue de ce que pouvoir (capacité) et vouloir (désir) impliquent. Plus on connecte avec nos valeurs, préférences et souhaits profonds en gardant notre esprit dans le réel, plus nous sommes susceptibles d’accepter que nous ayons agi selon les meilleures capacités et informations dont nous disposions à ce moment-là. En bref :
« J’ai fait de mon mieux, avec ce que j’avais à l’époque. »
Et ça peut ne pas faire votre affaire, parce que rappelez-vous, l’acceptation n’implique aucun cautionnement ni appréciation. On ne fait que constater ce qui s’est produit et convenir de notre malaise interne, question de cesser de résister ou nier la réalité (parce que ça consume énormément d’énergie). C’est à partir de là qu’on peut concentrer nos efforts à réparer les torts, ajuster nos comportements, payer notre dette. Vivre en paix.
Faire le choix d’avancer
À la fin de la journée, reconnaître notre humanité n’implique pas la fuite de nos responsabilités, mais plutôt la quête d’avancement sans cette impression d’être paralysé par le poids du passé. En laissant derrière nous l’illusion de superpouvoirs que nous n’avons jamais eus, nous donnons la possibilité d’évoluer, pleinement conscient de ce que nous pouvons réellement contrôler. Dans ces circonstances, nous avons le choix et l’énergie d’agir différemment à l’avenir en tirant les leçons importantes de nos erreurs passées.
[1] Fischoff, Baruch (1975). Hindsight ≠ foresight: The effect of outcome knowledge on judgement under uncertainty. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance 1(3): 288-299.
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