Une rechute ça se prépare
Quelle que soit la dépendance envisagée (alcool, drogue, jeux, sexe, nourriture, travail, cyberdépendance, etc..), stopper un comportement compulsif demande une grande motivation et des efforts psycho-émotionnels importants à investir. Mais si le nombre d’années d’abstinence éloigne les ‘’cravings », le dépendant n’est jamais à l’abri d’une reprise de ces comportements toxiques, ce que l’on appelle communément une rechute.
Avant de « retomber », des signes avant-coureurs sont présents et il est important que la personne dépendante et son entourage les aient en ligne de mire pour prévenir au mieux la rechute en prenant les actions appropriées.
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Si nous prenons l’exemple de l’alcool, la rechute ne survient pas au moment où l'alcoolique prend son premier verre. Il s'agit d'un processus qui débute bien avant que la personne recommence à boire.
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En effet, l’arrêt de consommation excessive d’une substance ou d’un comportement compulsif nocif ne règle pas la cause qui a engendré cette dépendance. Car ces comportements toxiques servent à anesthésier des douleurs psychologiques et de la souffrance émotionnelle qui prennent souvent racine dans des vécus dysfonctionnels ou des manques face à des besoins de l’enfance. Comme cette douleur et cet inconfort peuvent atteindre un degré tel que la personne dépendante devient incapable de vivre en équilibre sans sa béquille, un discours mental biaisé amène la personne à se dire qu'une consommation (qu’une dose, qu’une partie, etc…) ne sera pas plus dommageable que la douleur vécue à jeun. Pour éviter de rechuter ou de transférer sa dépendance sur d’autres substances ou comportements nocifs, il est nécessaire de faire un travail sur les causes profondes des dépendances. Ce travail est au cœur des activités et services de l’unité Domrémy.
Nous allons passer ici en revue les différentes phases comportementales menant à la rechute afin que leur conscience serve de sonnette d’alarme pour aller chercher de l’aide.
Phase 1: Le déni
La personne dépendante ne parvient pas à gérer son stress et à composer avec ses émotions. Elle vit un malaise intérieur qui crée des peurs et de l’anxiété. Il lui arrive de craindre de ne pas être capable de demeurer sobre. Ce malaise est passager et ne dure habituellement que peu de temps.
Pour l'aider à supporter ces périodes d'inquiétude, de crainte et d'anxiété, la personne ignore ou nie ses émotions et sentiments. Même lorsqu'elle prend conscience de ses ressentis, ils sont souvent oubliés dès que ceux-ci se sont résorbés.
Phase 2: Fuite et comportement défensif
La personne ne veut penser à rien qui risquerait de ramener ses ressentis douloureux et inconfortables. Par conséquent, elle évite toute situation ou toute personne qui la forcerait à se regarder objectivement. Lorsqu'on lui pose des questions directes sur son bien-être, elle a tendance à se mettre sur la défensive.
Les symptômes les plus courants sont:
- Croire que "plus jamais je ne consommerai".
La nécessité de suivre un programme quotidien de réadaptation lui semble alors moins important.
- Se préoccuper des autres au lieu d’elle-même
La personne ne parle pas directement de ses préoccupations, mais formule plutôt des jugements personnels sur les comportements de ses amis ou de son conjoint.
- Être sur la défensive
La personne a tendance à se défendre lorsqu'elle parle de ses problèmes personnels même lorsqu'elle n'a pas besoin de se défendre.
- Comportement compulsif
La personne devient rigide dans sa façon de penser et de se comporter. Elle a tendance à faire les mêmes choses encore et encore, sans raison valable. Elle a tendance à travailler plus que nécessaire et s'implique dans de nombreuses activités.
- Comportement impulsif
Des gestes irréfléchis ou non maîtrisés peuvent se produire, habituellement dans les périodes de stress intense. Ces gestes impulsifs amènent la personne à prendre des décisions qui peuvent compromettre gravement sa vie et son programme de réadaptation.
- Tendance à l'isolement
La personne commence à passer plus de temps seul. Elle trouve de bonnes raisons et de bonnes excuses pour demeurer loin des gens. Ces périodes d'isolement deviennent de plus en plus fréquentes.
Phase 3 : Genèse de la crise
La personne rencontre une série de problèmes liés au fait qu'elle nie ses émotions personnelles, s'isole et néglige son programme de réadaptation.
Les symptômes les plus courants sont :
- Le manque d’objectivité ou Voir les choses avec des œillères
La personne n’a plus une vue d'ensemble, elle voit sa vie comme étant constituée de pièces séparées et dissociées. Cela l'amène parfois à croire à tort que tout est sous contrôle et va bien. À d'autres moments, elle ne voit que ce qui va mal. Ainsi, les petits problèmes prennent des proportions exagérées. Lorsque cela se produit, la personne se victimise, vit des sentiments d’injustice et en vient à croire qu'elle n'a aucun pouvoir pour changer quoi que ce soit.
- Légère dépression
Les symptômes de dépression commencent à faire leur apparition et à s'installer. La personne a le cafard, se sent triste, apathique, vide de toute émotion. Il arrive souvent qu'elle dorme trop longtemps.
- Perte de la capacité de planifier de façon constructive
La personne arrête de planifier. Souvent pour elle le slogan "un jour à la fois" en vient à signifier qu'elle ne doit pas planifier ou penser à ce qu'elle va faire. Elle accorde moins d'attention aux détails et en vient de plus en plus à prendre ses désirs pour des réalités.
- Ses plans commencent à échouer
Étant donné que ses plans ne sont pas réalistes et qu'elle ne prête pas attention aux détails, ce qu'elle met en oeuvre commence à échouer. Chaque échec engendre de nouveaux problèmes dans sa vie. Certains de ces problèmes ressemblent à ceux qu'elle avait lorsqu'elle consommait. Elle se sent souvent coupable et pleine de remords face à ces problèmes.
Phase 4 : L’immobilisme
La personne est incapable d'entreprendre une action. Elle suit le courant de la vie, elle est contrôlée par les événements plutôt que d'avoir un pouvoir d’action sur sa vie.
Les symptômes les plus courants à ce stade sont:
- Rêvasser et prendre ses désirs pour des réalités
Il devient de plus en plus difficile pour la personne de se concentrer. Le syndrome du "si seulement" devient plus courant dans ses conversations.
- Sentiment que rien ne peut être résolu
Un sentiment d'échec commence à se développer qu’il soit réel ou imaginaire. De petits échecs sont exagérés et deviennent disproportionnés. La personne commence à croire "qu'elle a fait son possible et qu'elle est incapable de rester sobre".
- Déresponsabilisation
La personne n’identifie plus ce qui serait nécessaire à son bien-être. "La pensée magique" est utilisée (vouloir que les choses aillent mieux sans rien faire pour les améliorer). La personne se déresponsabilise.
Phase 5 : Confusion et réaction excessive
La personne est incapable de penser clairement. Elle est mécontente d’elle et des autres, devient irritable et réagit excessivement pour des broutilles.
- Périodes de confusion
Les périodes de confusion augmentent en fréquence et en durée et engendrent davantage de problèmes. La personne se sent furieuse contre elle-même car elle manque de compréhension de qu’elle vit.
- Irritabilité avec les amis
Les relations deviennent tendues avec la famille et les amis. La personne se sent menacée lorsqu'on lui parle de ses changements de comportement et d'humeur. Elle se sent coupable et pleine de regrets par rapport à son rôle dans les conflits qui continuent de s'intensifier malgré ses efforts pour les résoudre.
- La personne s'emporte facilement
La personne passe par des phases de colère, de frustration, de ressentiment et d'irritabilité pour aucune raison réelle. Ses réactions sont excessives et la peur qu’elles ne débouchent sur de la violence augmente son stress et son anxiété.
Phase 6 : LA DÉPRESSION
La personne devient tellement déprimée qu'elle a de la difficulté à maintenir sa routine. Il peut lui arriver de penser à se suicider ou à consommer pour mettre fin à sa dépression. La dépression est grave, persistante et ne peut être facilement ignorée ou cachée aux autres. Les symptômes les plus courants à ce stade sont :
- Alimentation irrégulière
La personne commence à trop ou pas assez manger et à des heures irrégulières. Elle gagne ou perd du poids et remplace un régime bien équilibré et nutritif par du "fast food".
- Absence de désir de passer à l'action
La personne traverse des périodes où elle est incapable de se mettre en marche ou de mener quoi que ce soit à terme. Elle est incapable de se concentrer, se sent anxieuse, craintive et mal à l'aise. Elle se sent souvent piégée et incapable de s'en sortir.
- Sommeil irrégulier
La personne a de la difficulté à dormir, son sommeil est agité et non ressourçant. Elle fait souvent des rêves étranges et des cauchemars. Elle a un sentiment d’épuisement et peut dormir de 18 à 20 heures en ligne, périodiquement.
- Perte de la routine quotidienne
La personne perd sa routine. Ses heures de lever, de coucher et des repas sont irrégulières. Il lui devient plus difficile de respecter ses rendez-vous et de planifier ses sorties. Elle est incapable de mener à bien ses plans car elle éprouve de la tension, de la frustration, de la crainte ou de l'anxiété.
- Périodes de grave dépression
La dépression s'aggrave, persiste plus longtemps et interfère avec sa vie. La fatigue, la faim et l'isolement accroissent la dépression. La personne s’isole, devient irritable et furieuse contre les autres, se plaignant souvent que personne ne se préoccupe de ce qui lui arrive ou ne la comprend.
Phase 7: Perte de contrôle du comportement
La personne devient incapable de maîtriser son comportement personnel et de respecter un horaire quotidien. Le phénomène de négation est encore très fort et la personne est peu consciente qu'elle perd le contrôle. Sa vie devient chaotique et de nombreux problèmes surgissent dans divers secteurs.
Les symptômes les plus courants sont :
- Participation irrégulière à sa thérapie
La personne manque ses rendez-vous de consultation et trouve des excuses pour justifier ses absences. Elle en vient à penser que le soutien thérapeutique ne l'aide pas vraiment à se sentir mieux. ‘’D’autres choses sont plus importantes".
- Développement d'une attitude de "je-m'en-foutisme"
La personne nie l’importance des problèmes qui surviennent. Cela lui permet de camoufler ses sentiments d'impuissance et de perte de respect et de confiance envers elle-même.
- Rejet manifeste de l'aide
La personne se coupe des gens qui peuvent l'aider. Elle les fait fuir par ses crises de colère qui les éloignent; elle les critique et les rabaisse ou elle s'éloigne discrètement des autres.
- Insatisfaction face à la vie
Les choses semblent aller tellement mal que la personne commence à croire que la consommation ne serait pas pire. La vie semble devenue impossible à gérer.
- Sentiment d'impuissance
La personne a de plus en plus de difficulté à se mettre en marche, à penser clairement, à se concentrer et à avoir une pensée abstraite. Elle vit un sentiment d’impuissance et commence à croire qu'il n'y a pas d'issue.
Phase 8 : Reconnaissance de la perte de contrôle
La personne cesse de nier la réalité et reconnaît la gravité des problèmes, à quel point sa vie est devenue incontrôlable. Cette prise de conscience est extrêmement pénible et effrayante. Rendue à ce stade, la personne est tellement isolée qu'il reste peu de ressources vers lesquelles se tourner pour chercher de l'aide.
À ce stade, les symptômes les plus courants sont :
- Apitoiement sur soi
La personne commence à s'apitoyer et essaie d’attirer l'attention de ses amis ou de sa famille.
- Essai d’une consommation contrôlée
La personne pense que consommer l’aiderait à se sentir mieux et tente de contrôler sa consommation. Elle renforce l’idée que seule la consommation peut lui éviter de devenir folle ou de se suicider. La consommation est vue comme une solution saine et rationnelle.
- Mensonge délibéré
La personne a conscience des mensonges, dénégations et excuses qu'elle donne, mais elle est incapable d'y mettre fin.
- Perte totale de confiance en soi
La personne se sent piégée et submergée parce qu'elle est incapable de penser clairement et de passer à l'action. Ce sentiment d'impuissance l'amène à croire qu'elle est inutile et qu'il lui est impossible de gérer sa vie.
Phase 9: Réduction des solutions possibles
La personne se sent prise au piège par la douleur psychologique et émotionnelle et son incapacité à gérer sa vie. Elle ne voit alors que trois solutions: la folie, le suicide ou la consommation. Elle ne croit plus pouvoir être aidée.
Pendant cette phase, les symptômes courants sont :
- Ressentiment déraisonnable
La personne se sent irritée parce qu'elle est incapable de se comporter comme elle le voudrait. Parfois ce sentiment d'irritabilité est dirigé vers le monde en général, parfois contre quelqu'un en particulier, mais surtout contre elle-même.
- Interruption de toute thérapie ou groupe d’entraide
La personne abandonne tout groupe d’entraide et toute aide professionnelle tellement la tension et le conflit intérieurs sont intenses. Elle a la croyance que plus rien ne peut l’aider.
- Sentiment d'être submergé par l'isolement, la frustration, la colère et la tension
La personne se sent complètement submergée. Elle se convainc que la seule façon de s'en sortir est de consommer ou de se suicider. Ses craintes de devenir folle sont très fortes de même que les sentiments d'impuissance et de désespoir.
Phase 10: Phase aiguë de rechute
La personne traverse des périodes où elle est dysfonctionnelle, plus fréquemment et plus longtemps. Cela engendre de graves problèmes dans tous les domaines de sa vie.
La personne perd peu à peu le contrôle de ses pensées, ses émotions, ses jugements et ses comportements. Sa santé et son bien-être en sont affectés. Peu importe les efforts qu'elle déploie pour reprendre sa vie en main, elle lui glisse entre les mains.
- Détérioration de tous les domaines de sa vie
La personne devient incapable de fonctionner dans son travail, sa vie sociale, sa vie familiale et sa vie intime. Par conséquent, tous les domaines de sa vie subissent le contrecoup de la négligence.
- Perte de contrôle de la consommation d'alcool, de drogues, de jeux, de sexe, etc…
La personne perd rapidement le contrôle de sa consommation.
- Effondrement émotif
La personne est incapable de fonctionner émotivement. Elle peut réagir excessivement ou peut devenir émotivement figé, pleurer ou se mettre dans une violente colère sans aucune raison particulière.
- Épuisement physique
La personne est incapable de fonctionner en raison de son épuisement physique.
- Maladie reliée au stress
La personne peut tomber malade suite au stress intense subi pendant une longue période de temps.
- Maladie psychiatrique
La personne peut développer des maladies mentales comme la psychose, l'anxiété grave ou une dépression profonde. Les maladies mentales peuvent être à ce point graves qu'elles obligent la personne à se faire traiter.
- Suicide
La personne peut devenir suicidaire, tenter de suicider ou effectivement se suicider.
- Prédisposition aux accidents
La personne peut devenir négligente et incapable de prendre les précautions normales dans sa vie, ce qui provoque une série d'accidents.
- Perturbation des structures sociales
La personne peut être incapable de participer aux activités normales de la vie et de fonctionner en société.
* Source: L.Marcotte et M.Lecavalier, Connaissances et habiletés pratiques en relation d'aide.

Adapté par Catherine Houssiau, directrice et intervenante en dépendance à l’Unité Domrémy de Ste-Thérèse
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