L'égoïsme sain ou « l'art de remplir un verre d'eau avec les débordements d'une carafe »
- Sophie Grondin

- 16 oct.
- 6 min de lecture
J’entends parfois des gens me dire : « Moi Sophie, aider les gens, ça recharge mes batteries. Dès que j’ai la chance d’aider quelqu’un, je le fais. Ça me fait du bien. » Et si cette phrase vous interpelle, je vous invite à poursuivre votre lecture à la découverte de l’égoïsme sain.
Avant tout, permettez-moi de vous parler un peu de moi : j’ai longtemps cru que, par une réaction chimique inexplicable, si je m'efforçais à remplir le verre d’eau des autres, malgré l’absence totale d’eau dans ma propre carafe, j’allais non seulement réussir à remplir leur verre, mais aussi ma carafe par la même occasion. On est d’accord que dans la réalité, cette croyance ne tient pas la route… Eh bien, c’est un peu la même chose qui se passe lorsqu’on choisit de venir en aide aux autres sous prétexte que ça « nous fait du bien », alors que nous sommes nous-mêmes fatigués, épuisés, vidés.
Ne vous y méprenez pas : je ne dis pas qu’aider est mal, au contraire. Je dis qu’aider les autres avant de s’aider soi-même, c’est illogique et parfois même dangereux. Je dis aussi qu’apprendre à s’aider soi-même avant d’aider les autres est non seulement souhaitable, mais surtout nécessaire à un équilibre de vie durable (rien de moins).

L’égoïsme comme complément à l’altruisme
Si vous vous êtes reconnus dans les premières lignes de ce texte, sachez que vous n’êtes pas seul.e et que votre comportement peut s’expliquer en partie par une (fausse) croyance fortement véhiculée : l’altruisme prévaut sur l’égoïsme… Lorsqu’on parle d'altruisme, il s’agit habituellement d’un comportement qu’on encourage et qu’on perçoit comme bon et sain. Or, lorsqu’on parle d’égoïsme, on le présente souvent comme un comportement réprimandable, mauvais, qu’on choisit de faire au détriment des autres. Et si je vous disais que l’égoïsme est plutôt complémentaire à l’altruisme? Que l’un ne vient pas sans l’autre?
Car l’égoïsme et l’altruisme ne sont ni tout noir ni tout blanc. Il existe en fait un égoïsme sain et un égoïsme malsain, mais il existe aussi un altruisme sain et un altruisme malsain. Allons creuser un peu ces 4 postures :
Altruisme malsain : Il peut prendre plusieurs formes et est parfois difficile à différencier de l’altruisme sain, surtout pour une personne naturellement portée à venir en aide. Voici donc quelques éléments pouvant nous indiquer que notre altruisme tangue du côté obscur de la force : lorsque le choix de venir en aide est motivé par une peur sous-jacente de déplaire si on ne le fait pas, lorsque le fait d’avoir apporté notre aide nous laisse épuisés ou même amères, lorsqu’un sentiment d’injustice ou de frustration nous habite si notre aide n’est pas reconnue et valorisée à la hauteur de nos attentes ou même lorsqu’on ne se sent pas libre de dire non.
Égoïsme malsain : Il prend souvent racine dans une détresse intérieure et peut mener à des comportements de repli sur soi, de déresponsabilisation et de manipulation. Sans que les intentions de la personne soient mauvaises, les impacts de ses comportements peuvent avoir des conséquences nuisibles sur son entourage. On parle d’égoïsme malsain lorsque les choix d’une personne, motivés par ses propres blessures, ont des répercussions sur l’entourage pour lesquelles la personne ne se responsabilise pas.
Altruisme sain : Composé d’une liberté d’aider ou non sans culpabilité, l’altruisme sain implique que je suis disponible pour aider sans le faire à mon détriment. Il génère habituellement une sensation d’être nourri plutôt que drainé après être venu en aide et naît d’un respect à la fois de soi et de l’autre. Contrairement à l’altruisme malsain, celui-ci n’est pas accompagné par l’attente d’être reconnu.e et valorisé.e par l’autre une fois l’aide apportée. L’altruisme sain n’est pas motivé par le besoin de combler un manque de reconnaissance, mais plutôt par le désir authentique d’aider l’autre, tout en s’aidant soi.
Égoïsme sain : Cette quatrième et dernière posture implique une responsabilisation et une affirmation de la personne face à ses besoins, ses limites et ses émotions. L’égoïsme sain permet de se prioriser sans pour autant nuire à son entourage. Il permet d’agir dans notre meilleur intérêt, pas contre les autres. La personne qui adopte cette posture reconnaît qu’elle peut remplir le verre d’eau d’autrui seulement lorsqu’elle dispose d’une quantité suffisante d’eau dans sa propre carafe.
La boucle sans fin…
Maintenant que ces quatre postures ont été présentées, j’aimerais porter à votre attention certains éléments :
Avez-vous remarqué que l’égoïsme malsain et l'altruisme malsain se ressemblent sur certains points? Bien qu’ils se manifestent à travers des comportements opposés, les deux prennent racine dans un manque de responsabilisation de la personne face à ses propres besoins. L’altruiste malsain se déresponsabilise en espérant que quelqu’un d’autre vienne combler son besoin de valorisation, d’amour et de reconnaissance en échange des services rendus, et l’égoïste malsain se déresponsabilise en niant les impacts de ses choix et en blâmant les autres pour ce qu’il vit.
Dans un ordre d’idées similaires, l’altruisme et l’égoïsme sain se ressemblent eux aussi beaucoup… les deux sont accompagnés d’un sentiment de liberté, sans culpabilité ou besoin de reconnaissance extérieure. Les deux s’appuient sur l’importance d’un équilibre de vie, le même auquel je faisais référence quand je vous disais plus tôt que l’altruisme et l’égoïsme sont complémentaires et non opposés.
Souvent, après un certain temps, l’altruiste malsain va finir par s'envenimer et se tourner vers l’égoïsme malsain. Soit parce qu’il ne reçoit pas dans une quantité suffisante la reconnaissance et la valorisation attendues en échange des services donnés, soit parce qu’il frappe un mur d’épuisement, soit un mélange des deux.
Une fois dans l’égoïsme malsain, il risque d’y rester un certain temps, d’abord en savourant la liberté de ne penser qu’à lui, sans pour autant apprendre à prendre soin de lui, puis en glissant petit à petit vers l’isolement et le sentiment de vide. Une fois rendu là, vers où l'égoïste malsain va-t-il à la recherche d’une solution à son mal ? Vous l’aurez deviné, il retourne à l’altruisme malsain et ainsi va la boucle sans fin… À moins qu’il ne choisisse un chemin différent qui, cette fois, le mènerait à la fois vers l’égoïsme et l’altruisme sain. Oui, oui, « à la fois », car vous savez maintenant que ces deux postures sont très similaires, mais aussi complémentaires !
Le chemin vers l’égoïsme sain
Qu’est-ce qui se cache sur le chemin menant vers l’égoïsme et l’altruisme sain ? Comment générer tellement d’eau dans notre carafe intérieure qu’elle en déborde ?

Voici quelques trucs concrets pour nous aider à atteindre l’égoïsme sain et à y rester :
Me l’a-t-on demandé ? Une question toute simple, mais puissante, qui peut mettre les freins à nos ardeurs de sauveurs et de preneurs en charge. En laissant à une personne la chance de demander mon aide (plutôt que de voler à sa rescousse avant même qu’elle puisse formuler une demande), je lui laisse la chance de se responsabiliser, sans me surresponsabiliser.
Est-ce que j’en ai les capacités et l’envie ? Disons que j’ai pris ma juste part de responsabilité et que j’ai laissé la responsabilité à l’autre de me demander de l’aide, je ne perds pas pour autant ma liberté de donner mon aide ou non. Ai-je le temps, l’énergie (physique, mentale, émotionnelle), les moyens financiers, etc. de dire oui à cette demande ? Est-ce que j’en ai l’envie authentique et profonde, ou ma décision est motivée par la peur de déplaire ou le besoin d’être valorisé.e et reconnu.e ?
Apprendre à remplir moi-même mes besoins de valorisation et de reconnaissance. Si je prends conscience que je n’ai ni les capacités ni l’envie d’aider, mais que l’idée de dire non m’apparaît tout simplement impossible, je gagnerais probablement à travailler mon autonomie affective : ma capacité à remplir par moi-même, sans dépendre uniquement des autres, mon verre intérieur de valorisation et de reconnaissance. Après tout, une carafe va finir par se vider si elle est trouée. Peu importe les efforts que je déploie pour la remplir de l’extérieur, ce sera toujours à recommencer si je ne travaille pas ma capacité à la remplir de l’intérieur.
Mettre mes limites - apprendre à dire non pour me dire oui. Connaître et nommer ses limites, c’est une responsabilité qui permet non seulement de préserver notre bien-être et de se respecter, mais c’est aussi une excellente façon d’apprendre aux autres comment coexister avec nous en leur nommant ce qui est acceptable pour nous et ce qui ne l’est pas, sans les laisser le deviner.
Faire des activités qui remplissent ma carafe. Non seulement vous y trouverez des façons de remplir votre carafe, soit en allant nager, peinturer, lire, marcher, etc., mais qui sait, vous aurez peut-être même l’occasion de vous reconnaître et de valoriser de façon autonome les démarches que vous entreprenez pour votre bien-être…
Je termine ce blogue en vous faisant un petit rappel amical que vous n’avez pas à être seul.e dans la mise en place des trucs listés ci-haut. Vous avez le droit de demander de l’aide et même de prendre part à un atelier de groupe à l’Unité pour vous entourer de personnes qui travaillent elles aussi à remplir leur carafe 💙


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