Le rétablissement : ce mouvement sans ligne d'arrivée
- Sébastien Latendresse

- 10 nov.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 nov.
J’ai un petit message pour vous : même le cheminement présente des effets indésirables. Et oui, un des principaux effets secondaires d’un parcours typique, mais teinté de perfectionnisme, c’est d’exiger que chaque geste soit une représentation de ce que nous sommes ou devrions devenir : être irréprochables. Le rétablissement devient inévitablement une lutte sans fin, alors que la seule définition du succès se métamorphose en absence totale de rechute ou d’impression d’avoir « reculé ». Dans ce cadre étroit, chaque dérapage devient une catastrophe, chaque victoire est minimisée (« ça va finir par mal aller ça va trop bennn »), et l’énergie se perd à juger, analyser, plutôt qu’à avancer. Mais avancer…à l’infini?
Repenser le rétablissement
Dans quel état d’esprit devrions-nous approcher le rétablissement ? Est-ce un but à atteindre, une ligne d’arrivée à franchir une fois pour toutes ? Est-ce une épreuve qui se gagne ou se perd, une victoire ou un échec ? Ou serait-ce plutôt un parcours, un chemin que l’on emprunte jour après jour, parfois en tombant en pleine face, parfois en se redressant, mais toujours en continuant ?
Le saviez-vous? Le terme « rétablissement » vient du verbe rétablir, construit sur le préfixe re- (qui signifie « de nouveau »), « en retour », « à nouveau » et le verbe tablir, une forme ancienne de établir. Établir, lui, vient du latin stabilire, qui signifie « rendre stable », « mettre debout ». Bla bla bla. Ainsi, se « ré-établir », c’est littéralement se remettre debout, retrouver une stabilité. Ce n’est pas nécessairement tout transformer, ni repartir à zéro. C’est revenir à un état où on a l’impression d’être orienté, au bon endroit. C’est un mouvement continu. Et ça peut être frustrant. Pourquoi?
En manque de résultats

D’emblée parce que cette réalité heurte notre besoin de clôture. Je me plais souvent à le rappeler : le cerveau est curieux de nature, et quand il commence quelque chose, il apprécie grandement le terminer. Surtout savourer les résultats, devrais-je dire. Apparemment que les humains fonctionnent mieux quand ils peuvent comprendre ce qui va arriver s'ils font ceci ou cela, mesurer leur progrès et dire « c’est fini ». Et quand ce n’est pas le cas, on ressent une perte de contrôle et d’autorité sur sa propre vie. C’est sans négliger le fait que vivre en vigilance, réévaluer ses choix, remettre en route des routines, gérer le changement; la culpabilité après une rechute : tout cela épuise. À la longue, la répétition des efforts sans « CULMINATION » de récompenses visibles crée bien évidemment, du découragement. Qui suis-je, si mon rétablissement n’a pas de fin? Un être humain faillible, peut-être?
Quand le rétablissement cesse d’être une lutte pour redevenir un chemin
Il apparait donc évident que dans un contexte du cheminement, on aurait avantage à comprendre le rétablissement non pas comme un virage à 180 degrés face à notre vie (une tâche insurmontable), mais plutôt comme une réorientation progressive de ses choix, une manière de retrouver un équilibre. C’est remettre un peu d’ordre là où il y a eu trop longtemps du chaos, c’est ajuster sa trajectoire plutôt que de changer de destination du tout au tout (remarque que si les décisions drastiques fonctionnent pour vous, allez-y fort!).
À mon avis, le rétablissement devrait moins symboliser une exigence de perfection et plus servir d’invitation à s’appuyer sur ses acquis, ses forces, à ajuster sa vitesse, à retrouver une direction intérieure un peu plus claire. Chez les personnes que j’accompagne, je constate trop souvent un oubli fondamental : qu’au-delà de notre dépendance et de notre tentative de s’en affranchir, nous demeurons des personnes à part entière qui ont des défauts et qui présentent certaines difficultés d’adaptation. Tout ne s’explique pas par nos compulsions de dépendant.
La frustration du “jamais fini”

Par conséquent, ce chemin courageux que l’on entame ne devrait pas viser l’atteinte de devenir quelqu’un d’autre, le gentil petit être sobre, mais de redevenir soi-même, dans une version plus alignée, plus stable, plus modérée, plus consciente. Malheureusement (ou pas), le rétablissement n’est pas un livre qui se termine ou qui se ferme, mais plutôt une histoire qui change de ton. Comme un film aux passages humoristiques revient à sa vocation principale : effrayer. En ce qui concerne l’être humain, et bien, le ton passe de l’accusation à la curiosité, de la condamnation à la compassion, du désespoir à une forme de confiance (réaliste). La dépendance, avec son cycle de rechutes et ses « up and down » donne l’impression d’une boucle sans fin. Le rétablissement, lui, ouvre la possibilité d’une progression, certes imparfaite, mais surtout plus large et durable. Parce que si le rétablissement devient une guerre, soit on la gagne, soit on la perd. Mais comment ferons-nous pour en connaitre la conclusion? L’absence de ceci, la présence de cela? L’écart d’hier, le succès d’aujourd’hui? Voyons plutôt les choses comme un jardinier.

Le jardinier plante, arrose, désherbe, et recommence, encore et encore. Il accepte que certaines graines ne donnent rien, que d’autres mettent du temps, que le climat lui échappe. Pourtant, il continue, et le jardin finit par prendre forme grâce à sa constance, pas grâce à un contrôle absolu.
Une manière d'avancer
Vous le constatez, le rétablissement, dans cette perspective, n’est pas une fin déterminée d’avance. Il n’est pas un sommet qui mettrait fin à l’effort une fois franchi ni une punition sans fin. Il est une manière de marcher, une pratique, l’art de se relever quand on s’est « planté ». À l’image d’une rivière parfois agitée, parfois calme, le but n’est pas d’arrêter le courant, mais d’apprendre à naviguer avec lui. On peut certainement espérer un changement durable, mais jamais au détriment d'une humilité mesurée.
Inspiré de « L’apprentissage de l’imperfection » (Ben-Shahar, 2009), p. 133 à 135. * Image du livre générée par Gemini




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